[11 mars 2024] Cérémonie de prestation de serment de magistrats de la cour administrative d’appel de Lyon

Vie de la cour
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La prestation de serment des magistrats administratifs a été instituée par la loi 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, et est désormais inscrite à l’article L.12 du code de justice administrative.

Obligatoire pour les magistrats nommés à compter du 1ᵉʳ janvier 2024, la prestation de serment est également ouverte aux magistrats nommés avant cette date, qui souhaitent réaffirmer solennellement les engagements auxquels ils ont souscrit, en conscience, en entrant en fonctions.

Lors de la cérémonie, le président de la cour, après avoir rappelé l’origine et la nature du serment et donné lecture du texte de celui qui les concerne, a invité les magistrats le souhaitant à prêter serment. À l’appel de son nom, chaque magistrat, main droite levée, a ainsi été invité à prononcer la formule suivante : « Je prête serment ».

 

Cérémonie de prestation de serment
à la Cour administrative d’appel de Lyon
Lundi 11 mars 2024

Discours d’introduction de Gilles Hermitte
Conseiller d’Etat, Président de la Cour administrative d’appel de Lyon

Chères et chers Collègues,

Mesdames, Messieurs,

Nous nous retrouvons aujourd’hui pour une cérémonie que je qualifierais volontiers d’« inhabituelle » dans les juridictions administratives, au cours de laquelle sera recueillie la prestation de serment de magistrats de la cour administrative d’appel de Lyon.

L’adjectif « inhabituel » ne vaut sans doute que pour la cérémonie de ce jour.

Introduit dans le code de justice administrative par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, à son nouvel article L. 12, le serment que vous allez prêter aujourd’hui est désormais obligatoire pour tous les nouveaux magistrats administratifs qui sont entrés dans le corps à compter du 1er janvier 2024 et ceux qui y entreront à l’avenir.

Pour les magistrats déjà en fonction, la prestation de serment n’est que facultative. Ce choix du législateur, que l’on pourrait certes discuter, me parait traduire, à la réflexion, sa grande sagesse.

Elle permet en effet d’éviter des débats dont l’intérêt ne m’apparait pas évident. Et, en renvoyant finalement à une décision personnelle de chaque magistrat, la faculté ouverte par la loi renvoie à une première facette du serment, qui est la manifestation d’une démarche personnelle, même s’il s’agit, c’est là une autre facette, d’un engagement prononcé de manière publique.

Le Littré rappelle en effet en quoi consiste la conception classique du serment. Il s’agit d’une « affirmation ou promesse en prenant à témoin Dieu, ou ce que l’on regarde comme saint, comme divin ». Le serment est ici ce qu’il a été à l’origine : un engagement solennel, sacré, prononcé devant une autorité divine.

Ce ne sera certes pas le cas aujourd’hui pour ce qui concerne cette autorité !

Si l’on s’attache quelques instants à cette conception classique, il n’est donc pas surprenant de voir le serment s’épanouir dans des sociétés fortement imprégnées de croyances religieuses, dans lesquelles les dieux, qui régissent la vie de chaque individu dans ses moindres aspects, président aux destinées des sociétés. Ainsi, en Égypte, il y a près de 5 000 ans, le serment est-il une pratique courante. Les Grecs, les Romains, lui conserveront une place importante. Plus près de nous, la féodalité en fera un pilier de l’ordre social, dans lequel l’effectivité des liens personnels d’allégeance passe encore par le serment.

Cette présence du divin fait donc du serment un acte qui emprunte au sacré et dont la mise en scène vise à marquer profondément les esprits. Émile Benveniste, dans le Vocabulaire des institutions indo-européennes, (1969, tome 2, p 175, Éditions de Minuit), insiste particulièrement sur ce trait : « Pourquoi convoque-t-on les dieux ? C’est parce que le châtiment du parjure n’est pas une affaire humaine, aucun code indo-européen ancien ne prévoit une sanction pour le parjure. Le châtiment est censé venir des dieux puisqu’ils sont garants du serment » .

Les penseurs politiques classiques se sont d’ailleurs tous, plus ou moins, intéressés au serment.

Pour n’en citer qu’un, Montesquieu, dans De l’Esprit des lois (1758, au livre VIII, consacre un paragraphe XIII qu’il intitule : « Effet du serment chez un peuple vertueux ». Y évoquant les Romains, il écrivit ces mots remarquables : « Le serment eut tant de force chez ce peuple, que rien ne l’attacha plus aux lois ». Le peuple fut d’ailleurs plus vertueux que les tribuns chargés de le guider, plus prompts à renier leur serment. Et Montesquieu de conclure : « … la crainte de violer leur serment surmonta toute autre crainte. Rome était un vaisseau tenu par deux ancres dans la tempête : la religion et les mœurs ».

Malgré l’intérêt que peut présenter une étude approfondie des origines de la pratique du serment et de ses manifestations, ce n’est pas ici le lieu d’y insister davantage. Car il est aujourd’hui légitime de se demander ce qui subsiste de cette conception originelle du serment.

En effet, la sécularisation a fait son œuvre dans nos sociétés et la présence, le sentiment du divin n’y sont plus aussi répandus. L’individualisme a marqué l’ordre social de son empreinte singulière et la laïcité a fait le reste.

Pour autant, le serment n’a pas disparu de nos pratiques, même si, aujourd’hui, sa dimension professionnelle semble dominante. Si le serment jouait pour les Anciens un rôle important, il semble que, pour les Modernes, sa place et son rôle soient plus contrastés.

Il est ainsi, pour nous, je crois, tout autant anachronique qu’essentiel.

Anachronique, car cet engagement, cette promesse semble désormais ne plus peser grand-chose. La caution divine disparue, la loi ne jouit plus non plus de la même autorité que celle que lui reconnaissaient les Grecs ou les Romains. Les promesses se font et se défont et la parole publique se perd dans le brouhaha contemporain. Telle pourrait être l’impression d’ensemble de nos sociétés contemporaines.

Pourtant, il serait dangereux et surtout erroné de se résoudre à une telle conception, qui ne rend pas bien compte de ce qui se joue et de la place du serment, qui se pratique finalement plus régulièrement qu’on ne le pense.

Pour lui donner une forme et un contenu « modernes », il faut sans doute rappeler quelle en est la raison d’être. Les faiblesses des hommes sont bien réelles. Comme le remarque Samuel von Pufendorf (1632-1694) : « L’usage du serment marque ou suppose la défiance, l’infidélité, l’ignorance et l’impuissance des hommes ». Dès lors, cet acte, par lequel une volonté singulière s’impose à elle-même de respecter certaines règles, constitue le ciment d’un ordre juridique et social reposant sur le consensualisme. Alain Supiot, dans son ouvrage Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit (Éditions du Seuil, 2005) rappelle que le serment est l’une des formes, aux racines religieuses, qui permettaient à un accord de volontés de devenir un véritable contrat.

Le serment, qui n’est pas une fin en soi mais une étape importante dans la réalisation d’un engagement, est en fait pleinement un acte politique. Je ne donne pas à ce dernier adjectif une quelconque dimension partisane. Il ne s’agit pas davantage de parler de soumission à un ordre politique, en relevant que, dans les États autoritaires, le serment est souvent présent et sert à prémunir le pouvoir contre toute insubordination.

Le serment que vous allez prononcer est clairement d’ordre professionnel. Il ne vous engage pas devant un quelconque pouvoir politique mais seulement devant vos pairs et plus largement, je crois, devant le peuple français, au nom duquel nous rendons la justice. Car c’est bien à lui, finalement, que doit profiter cet engagement.

Le serment n’est donc pas un assujettissement, si ce n’est à ses propres valeurs et aux principes et règles qui régissent notre profession et qui en garantissent le meilleur exercice possible.

Le fait que la prestation de serment se déroule en public, selon un rituel plus ou moins scénarisé, à la fois parole et geste, s’explique aussi par le fait, essentiel, qu’elle n’est pas seulement la manifestation d’une démarche individualiste. Pour être pleinement valable et pour produire ses effets, le serment doit être accepté et reconnu. Il requiert la confiance, qui est bien le fondement de l’acceptation de celui qui le reçoit.

Le serment vient ici servir de caution morale à un engagement qui pourrait être pris par ailleurs, ce que nous avons d’ailleurs toutes et tous, ici présents, fait en intégrant le corps des magistrats administratifs et en exerçant nos fonctions du mieux possible.

Le serment aurait d’ailleurs pu être assertatoire et tourné vers le passé. Mais, tel qu’il est constitué, il a, en réalité, une dimension promissoire, tournée vers le futur.

Les grands philosophes des Lumières l’avaient bien compris : promettre, c’est s’engager pour un avenir dont on ne connaît pas tous les termes mais seulement ceux que l’on peut raisonnablement entrevoir. C’est pourquoi un serment n’est pas un engagement à tenir l’impossible.

Mais malgré cela, promettre, c’est prendre un risque, évident, celui de faillir et, plus grave, celui de se parjurer. Mais c’est justement parce que de tels risques existent que le serment prend toute sa valeur. Il engage la responsabilité de celui qui le forme.

Car quelle valeur aurait un serment qui pourrait ne pas être tenu sans qu’aucune conséquence en soit tirée ?

Rappelons-nous ce type de serment, ici amoureux, dont parle Shakespeare dans Hamlet, et qu’il décrit ainsi, par la voix de Polonius :

« En un mot, Ophélie,

Ne vous fiez pas à ses serments, car ce sont des entremetteurs

Bien différents du vêtement qu’ils portent,

Ils ne font que plaider pour d’infâmes requêtes

Et ne prennent l’aspect des promesses saintes

Que pour mieux vous tromper » (Hamlet, I, 3).

Reconnaissons-le simplement, le serment que vous allez prononcer ne porte en lui aucune exigence impossible. Il ne fait en réalité que rappeler les conditions minimales du bien juger.

Car ce qui nous réunît aujourd’hui, d’une certaine manière, c’est bien cette interrogation : qu’est-ce que bien rendre la justice aujourd’hui ?

À cet égard, le texte de l’article L. 12 nous éclaire précisément, même si les termes utilisés peuvent être l’objet de conceptions différentes.

Pour commencer, je dirais que, dans ce serment, le plus simple est sans doute l’engagement à respecter l’exigence posée à l’article L. 8 du code de justice administrative : le secret du délibéré. Son contenu comme son périmètre sont aisés à identifier. Rappel bien venu, nécessaire, mais ce n’est pas ici que se situe le plus complexe.

Ensuite, trois mots sont mentionnés, qui ont, chacun, leur importance : indépendance, probité, impartialité.

J’observe tout d’abord, comme pour le point précédent, qu’il s’agit là d’un engagement positif.

Bien sûr, l’indépendance ne dépend pas que du promettant. Il existe, pour la garantir, des règles exigeantes et parfois contraignantes. À travers les procédures de désignation, les conditions d’exercice des fonctions, la garantie de l’inamovibilité, tout est fait pour assurer cette exigence d’indépendance, qui est consubstantielle à l’exercice des fonctions de juge. Mais, pour autant, tout engagement personnel de donner à ces règles leur pleine efficacité est-il vide de sens ? Sans doute pas !

La probité s’impose aussi à l’évidence. Pour remplir parfaitement sa fonction, le juge ne saurait rechercher le moindre intérêt pécuniaire à travers son office. Les déclarations d’intérêts que nous devons remplir, à chaque changement significatif de situation, ne sont là que pour rappeler cette obligation.

Enfin, l’impartialité, dans ce qu’elle a de plus subjectif, nous oblige à bien nous connaître et à bien savoir faire abstraction de nos penchants ou de nos conceptions politiques ou philosophiques. Si l’indépendance nous oblige à nous garder des autres, l’impartialité nous amène à devoir nous garder de nous-mêmes.

Enfin, attendre d’un magistrat qu’il adopte un comportement honorable et digne peut questionner. Certes, dans l’exercice des fonctions, un comportement exemplaire est requis. Cela ne saurait surprendre. Mais nos fonctions nous amènent souvent à être en représentation et, au-delà de ces dernières, à l’être de plus en plus dans notre existence personnelle. Il devient alors normal que chaque magistrat se doive, à travers l’image qu’il donne de lui-même, de veiller à donner la meilleure image de la juridiction administrative dont il est le dépositaire.

L’introduction de l’article L. 12 dans le code de justice administrative, à la suite des travaux du groupe de travail sur le renforcement de la solennité dans les juridictions administratives présidé par le président de la cour administrative d’appel de Versailles, Terry Olson, nous conduit désormais à rejoindre de nombreuses professions voisines, dans lesquelles le serment est présent, à l’entrée de la carrière (article L. 220-4 du code des juridictions financières pour les magistrats des chambres régionales des comptes ; article  6 de l’ordonnance 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut des magistrats, pour nos collègues judiciaires).

Mais il est temps d’en venir à la prestation de serment elle-même.

« Avant d'entrer en fonctions, les membres du Conseil d'État et les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel prêtent serment publiquement, devant le vice-président du Conseil d'Etat ou son représentant, de remplir leurs fonctions en toute indépendance, probité et impartialité, de garder le secret des délibérations et de se conduire en tout avec honneur et dignité.

Ils ne peuvent être relevés de leur serment ».

(Recueil des prestations des magistrats).

Vous voici désormais « sermentés ». Cet adjectif, comme le rappelle le Littré, n’est plus guère usité aujourd’hui mais il me semble bien adapté à l’événement de ce jour.