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Vu la requête, enregistrée le 15 avril 2011, présentée par le PREFET DU RHONE qui demande au tribunal :
- d’annuler la décision en date du 15 mars 2010 par laquelle le maire de Vaulx-en-Velin a refusé de faire retirer le drapeau palestinien actuellement suspendu à un mât devant l’hôtel de ville ;
- d’enjoindre au maire de Vaulx-en-Velin de procéder au retrait de ce drapeau dans un délai de 24 heures à compter de la notification du jugement ;
Il soutient que la présence de ce drapeau devant un édifice public constitue la revendication d’une opinion politique et qu’elle contrevient au principe de neutralité des services publics ;
Vu la décision attaquée ;
Vu la mise en demeure adressée le 23 mai 2011 à la commune de Vaulx-en-Velin, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu l'ordonnance en date du 9 juin 2011 fixant la clôture d'instruction au 24 juin 2011, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire enregistré le 10 juin 2011, présenté pour la commune de Vaulx-en-Velin, représentée par son maire en exercice, par Me Vergnon, avocat au barreau de Lyon, qui conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l’Etat d’une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la commune organise depuis plusieurs années des échanges avec la ville palestinienne de Beit Sahour dans le cadre d’un accord de coopération décentralisée ; que sa décision de suspendre le drapeau palestinien à côté, et non à la place, du drapeau français est un geste pacifiste tendant à promouvoir un rapprochement entre Israël et la Palestine et à informer la population locale de la situation critique des habitants de cette ville ; qu’aucun texte ne précise les règles de pavoisement des édifices publics ; que les jurisprudences invoquées par le préfet sont inapplicables ; que le drapeau français n’a pas été retiré de l’hôtel de ville et qu’ainsi, le pavoisement litigieux ne peut être regardé comme une critique de la politique nationale ; que dans le cadre de l’accord entre les deux villes, l’utilisation du drapeau vise à symboliser une initiative de nature civique et non à traduire une revendication politique, de propagande ou de prosélytisme politique et encore moins religieux ; qu’il n’y a donc aucune atteinte au principe de neutralité des services publics ; que de nombreuses communes ont, par le passé, manifesté de manière analogue leur solidarité avec le peuple tibétain sans avoir fait l’objet de déférés préfectoraux ; que la situation de la commune traduit à cet égard une rupture d’égalité alors que son initiative s’inscrivait dans le cadre de la liberté d’expression défendue par la Déclaration universelle des droits de l’homme et les articles 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le mémoire enregistré le 21 juin 2011, présenté pour la commune de Vaulx-en-Velin, qui conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens ;
Il ajoute que les conventions passées dans le cadre de la coopération décentralisée avec la commune de Beit Sahour établissent bien l’existence de liens de partenariat entre les deux collectivités ;
Vu le mémoire enregistré le 22 juin 2011, présenté par le PREFET DU RHONE qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Il ajoute que les dispositions du code général des collectivités territoriales sur la coopération décentralisée enserrent l’exercice de telles actions dans les compétences des collectivités concernées et qu’au demeurant, les relations internationales relèvent de la compétence de l’Etat en vertu de l’article 52 de la Constitution ; que les termes mêmes de la réponse du maire traduisent une prise de position politique dans le cadre d’un différend entre deux Etats étrangers ; que les pavoisements concernant le Tibet n’étaient que ponctuels alors que le drapeau palestinien est déjà en place depuis presque un an et qu’en outre, dans le Rhône, aucun d’entre eux n’a été porté à la connaissance du préfet ; que les textes internationaux invoqués par la commune ne justifient pas une action politique ne relevant pas de la compétence des communes ;
Vu le mémoire enregistré le 24 juin 2011, présenté par le PREFET DU RHONE qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Il ajoute que les liens conventionnels existant entre les communes de Vaulx-en-Velin et de Beit Sahour ne donnent pas compétence à la commune pour prendre position dans un différend international ;
Vu le mémoire enregistré le 24 juin 2011 présenté pour la commune de Vaulx-en-Velin qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 juin 2011 ;
- le rapport de M. Kolbert, président ;
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public ;
- les observations de Mme Bouyssou, représentant le PREFET DU RHONE ;
- les observations de Me Vergnon, avocat, représentant la commune de Vaulx-en-Velin ;
- les observations de M. Genin, maire de Vaulx-en-Velin ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à l’initiative des autorités municipales de Vaulx-en-Velin, un drapeau aux couleurs nationales palestiniennes est suspendu, depuis le 30 juin 2010, devant l’hôtel de ville à côté des drapeaux français et européen ; que, par la décision attaquée en date du 15 mars 2011, le maire de cette commune a rejeté la demande du préfet du Rhône tendant au retrait immédiat de ce drapeau ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales : « Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d’aide au développement. Ces conventions précisent l’objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l’Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1, et L. 4142-2 leur sont applicables. En outre, si l’urgence le justifie, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou financer des actions à caractère humanitaire. » ;
Considérant, en premier lieu, que si, pour justifier son initiative, la commune de Vaulx-en-Velin se prévaut de l’existence de conventions conclues en 2008 et 2010 avec la commune palestinienne de Beit Sahour, dans le cadre des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales et avec l’accord du ministère des affaires étrangères et européennes, aux termes desquelles elle contribue à la fourniture d’un appui au développement des organisations éducatives, culturelles et sportives de cette commune, ainsi qu’au renforcement de sa société civile par le développement d’une politique globale de la jeunesse et celui de la vie associative, aucune des stipulations de ces conventions et protocoles annexes, telles qu’elles auraient été soumises au contrôle de légalité de l’Etat, ne prévoit, parmi les actions de communication qui pourraient appuyer ce dispositif de coopération, une action consistant à procéder au pavoisement permanent des bâtiments publics de la commune de Vaulx-en-Velin, aux couleurs nationales palestiniennes ; que ces conventions ne sauraient donc légalement fonder la décision attaquée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de la décision du maire de Vaulx-en-Velin, que l’initiative critiquée par le PREFET DU RHONE, a été prise dans le but d’interpeller le gouvernement français « autour de quatre exigences : l’arrêt de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens (…), la destruction du mur de la honte, la fin du blocus de Gaza, et surtout le retrait d’Israël dans ses frontières d’avant 1967 (…) » ; qu’elle traduit ainsi l’expression directe d’une prise de position politique dans le domaine de la politique étrangère de la France, laquelle relève, en vertu des articles 52 et suivants de la Constitution, de la compétence exclusive de l’Etat ; que, par suite et en dépit de l’absence de dispositions normatives régissant les conditions de pavoisement des édifices publics, le PREFET DU RHONE est fondé à soutenir que le maintien à titre permanent du drapeau palestinien devant l’hôtel de ville de Vaulx-en-Velin est, dans ces conditions, contraire au principe de neutralité des services publics auquel est soumise la commune, comme toutes les collectivités publiques ;
Considérant, en troisième lieu, qu’en admettant que les stipulations des articles 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui protègent la liberté de pensée et de conscience, ainsi que la liberté d’expression, puissent être directement invoquées par une collectivité territoriale dans le cadre d’un litige l’opposant à l’Etat, la restriction apportée, en l’espèce, à leur exercice par l’obligation de respecter le principe de neutralité des services publics doit être regardée comme s’inscrivant dans le cadre des limitations prévues par ces mêmes stipulations dans un but de protection des droits et libertés d’autrui ; que, dès lors et en tout état de cause, ces stipulations ne peuvent justifier le maintien du drapeau litigieux ;
Considérant, en quatrième lieu, que la commune ne peut utilement se prévaloir de ce que d’autres communes, y compris dans le département du Rhône, auraient, à l’occasion des Jeux Olympiques organisés en Chine en 2008, pris des initiatives analogues à la sienne en faveur du peuple tibétain sans avoir fait l’objet d’aucune contestation de la part des autorités de l’Etat, cette circonstance ne pouvant révéler par elle-même, une méconnaissance du principe d’égalité en droits ;
Considérant, en dernier lieu, que la Déclaration universelle des droits de l'homme ne figure pas au nombre des textes diplomatiques qui ont été ratifiés par la France dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution et que, par suite, ses stipulations ne peuvent être invoquées dans le cadre d’un litige pour excès de pouvoir ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le PREFET DU RHONE est fondé à demander l’annulation de la décision du maire de Vaulx-en-Velin en date du 15 mars 2011 ; qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre à ce dernier de faire procéder à l’enlèvement du drapeau litigieux, dans un délai de 48 heures à compter de la notification du présent jugement ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à la mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas partie perdante, du versement à la commune de Vaulx-en-Velin de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du maire de Vaulx-en-Velin en date du 15 mars 2011 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au maire de Vaulx-en-Velin de faire procéder, dans les 48 heures suivant la notification du présent jugement, à l’enlèvement du drapeau palestinien des abords de l’hôtel de ville.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Vaulx-en-Velin sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié au PREFET DU RHONE et à la commune de Vaulx-en-Velin.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2011, à laquelle siégeaient :
M. Kolbert, président-rapporteur,
M. Terras, premier conseiller,
Mme Burnichon, conseiller,
Lu en audience publique le 6 juillet 2011.